"SECONDE ECRITURE DE DEBUT"
En ce temps là, nous habitions au coeur de Saïgon, au coin de la rue Lê Loi, un grand carrefour avec d'autres rues dont je ne m'en souviens plus le nom. Juste en face, de l'autre coté du carrefour, il y avait un grand cinéma.
Nous occupions les deux premiers grands appartements
du troisième et dernier étage, juste à coté de l’escalier. Le premier était
celui de Tante Marie, le second, celui de Papa et Maman. Moi, j’habitais dans
les deux. J’étais plus souvent chez Tante Marie. Dans l’autre, c’était le
territoire de mon petit frère, ‘Fanfan
la trulipe’. C’était un véritable brigand. Papa lui donnait tant de jouets, qu’il
fallait les empiler contre le mur d’entrée sur une dizaine de pas de long. Moi,
j’occupais tout le balcon de l’appartement. Les branches d’un tamarinier
tendaient ses fruits jusque dans la maison. En me penchant, je pouvais voir « le
théâtre français », au loin à droite, après la place du jet d’eau. Tante
ne venait que rarement dans mon espace de peur qu’il ne lui arrivait un
accident avec toutes les choses que j’y entreposais. Je fabriquais moi même
tous mes jouets avec des choses que je trouvais ou avec les casses de mon
frère. Je construisais des arbalètes miniatures. Les plus petits tiraient des
cures dents en bambous. Les plus grands tiraient des brochettes confectionnées
avec des rayons de bicyclette que je garnissais au bout des tiges de roseau. Certains
balais se composaient de tiges très légères d’une sorte de roseau. Avec çà, je
pouvais planter les fléchettes sur les panneaux des volets fermés du cinéma de
l’autre coté du grand carrefour. Un Dieu devait avoir veillé sur la populace. Il
n’y avait jamais eu d’accident. Ces flèches pouvaient certainement blesser
gravement, voir de tuer. Je vérifiais mes tirs avec une demie jumelle. Les
volets étaient hérissés de pics colorés. Pour distinguer les dernières flèches,
je les peignais. J’évitais de tire sur les grandes affiches, parce que
derrière, il y avait des fenêtres ouvertes. Et puis, les affiches étaient des
peintures gigantesques, faites à la main. Le peintre pourrait facilement me
repérer, il suffisait de voir la direction des flèches. Je n’avais pas encore
quatorze ans, mais je faisais toujours le tour du problème avant de commencer
une expérience. Ce qui faisait le plus peur à Tante, c’était la boîte qui
faisait tourner une roue. Je faisais chauffer de l’eau dans une boîte fermée.
Par un trou, la vapeur faisait tourner une roue à aube. Tante n’arrêtait pas de
me répéter que cela me sauterait à la figure. Je la rassurait en disant que le
couvercle s ‘ouvrirait et que cela était sans danger. Plus encore, c’était
lorsque je grattais les impactes de balles pour récupérer les balles. Quelques
temps plus tôt, des milices viêtcong étaient au théâtre français. Ils avaient
placé une mitrailleuse sur les hautes marches et avaient tiré sur la foule qui
fuyaient. Il y avait eu des morts juste devant, dans la rue. Puis ils
repartaient en camions avant l’arrivée de l’armée régulière.
Vers les derniers mois, j’avais rapporté d’une excursion,
une gousse de protection de fleurs de cocotier. C’était une enveloppe fibreuse
et qui avait la forme d’un bateau. Séché, c’était dure comme du bois. Il suffisait
de le tremper quelques jour pour l’assouplir
et rectifier les formes. J’en avais fait un bateau à voile doté d’un moteur à
pile. Je l’avais peint. Il avait tout, dans les moindres détails, comme les
véritables bateaux. Devant la proue, j’avais peint des yeux comme cela se
faisait sur tous les esquifs. Plus tard, lorsque Tante viendra en France, elle
avait emporté quelques petites choses que j’avais fait.
Durant les dernières semaines à Saïgon, je m’occupais
à remplir mes deux grosses valises. Je n’emporterais aucun jouet, J’en
fabriquerais d’autres.
C’étais là, le soir de la veille du jour du départ, que Tante Hélène venais de parler sans
témoins. Après m’avoir fait promettre de garder
le secret le plus absolu, elle m’apprenait que mon Père n’était pas mon Père.
Cette nuit là, la dernière nuit à la maison, j’étais
pris de colique, je n’arrêtais pas d’aller aux toilettes où je restais très longtemps.
Tante Marie pensait que j’avais trop mangé. Pour la dernière soirée, on avait
fait la tournée des restos pour me permettre de manger une dernière fois, tous
mes plats préférés. C’étais une véritable torture. Je n’avais pas du tout envie
de manger. Au milieu de la nuit, Tante m’avait fait boire des décoctions divers
et mis une serviette chaude sur le ventre. Rien n’y faisait.
Tout le monde étaient en bas, on n’attendait plus
que moi. J’étais remonté pour aller aux toilettes. En fait, je prenais le temps
de revoir une dernière fois ce grand appartement silencieux et vide avant de
descendre en courant comme pour fuir un fantôme.