LE DEPART
Nous avions rejoint un petit groupe d’enfants apparemment
très joyeux par ce qu’il nous avait fallu nous éloigner d’eux pour pouvoir se
parler. Ils avaient très peu ou pas du tout de bagage. Je me tenais à part,
avec mes deux grosses valises, je ne cadrais pas avec la bonhomie du groupe.
Habillé de neuf, je ressemblais à un touriste espagnol. Maman et Tante me
faisaient les dernières recommandations lorsque des sœurs venaient vers nous au
moment où Papa partait avec mes valises pour les faire enregistrer.
D’office, les sœurs me plaquaient un bébé tout nu
dans les bras. Elles disaient que j’étais le plus grand du groupe et donc, que
j’avais la responsabilité du groupe, le bébé compris. Machinalement, j’enveloppais
le petit enfant dans le cache nez de grand père. Tante m’avait donné une
relique religieusement conservé. C’était une écharpe en laine bleue sur une
face et rouge de l’autre. Cette pièce d’étoffe avait été offert à Grand Père
par un ami de la famille, Monsieur Charles ODAKA. Plus tard, j’apprendrait que
cet homme était venu au secours de notre famille lorsque l’armée nipponne
devait nous arrêter.
L’avion avait décollé. A force d’admirer le monde en
miniature et poussé des cris d’émerveillement, les enfants s’étaient assoupis.
Je pouvais enfin réfléchir en paix sans être dérangé. Pendant que l’avion m’emportait
en s’éloignant inexorablement de mes parents, alors que tous les autres enfants
s’agitaient en riant, moi, j’avais mal au ventre et je tremblais si fort qu’il
me fallait me cramponner à tel point que l’hôtesse de l’air avait été dans l’obligation
de boucler la ceinture pour moi. Elle n’étais pas très contente de moi par ce
qu’elle criait très fort, surtout lorsque j’avais laissé tomber l’enfant. Je me
demande encore s’il n’était pas mort. Il ne s’était pas réveillé de tout le
voyage. Pendant l’arrêt à Carachi, (je crois que c’était en Inde), il faisait
une telle moiteur dehors que j’avais préféré rester dans l’avion plutôt que de
me dégourdir les gambes.
Nous avions débarqué en France, à Roissy en pleine
nuit. J’avais récupéré mes grosses valises. On nous avaient regroupé dans un
coin. J’étais assis sur mes valises en serrant l’enfant pour avoir chaud. Tout autour, les autres
continuaient à dormir. Je semblais veiller sur ce petit monde endormi. Je n’avais
plus ce bourdonnement qui me faisait mal aux oreilles et je savourais cette fraîcheur
que je reconnaissais. J’étais déjà venu visiter la France quelques années plus tôt
et j’en avais gardé de particuliers souvenirs. Il y avait comme de la joie en
moi. Quelque chose me disait qu’il fallait tout oublier et revivre, revivre
autrement. Surtout, il faut mettre sous clef mes souvenirs passés.
Des gens passaient. Tous nous regardaient, certains
s’arrêtaient un moment. Un petit garçon ou une petite fille m’avait donné
quelque chose que j’avais mangé. Je me rappelle de cette femme accompagnée de
sa famille et qui était resté à nous regarder longtemps. Elle pleurait bruyamment
et j’avais faillis pleurer aussi. En fait, j’étais pris d’un fou rire, je me
tordais à mourir, réveillant les autres et pour finir, tout le monde avaient
rigolé aux larmes.
En effet, les larmes avaient défait le maquillage de
la dame. Cela lui composait une telle figure que cela devenait irrésistible.
Nous étions tous bien éveillés lorsque des sœurs étaient
venues me prendre l’enfant. On nous avaient fait prendre un frugal petit
déjeuner sur place. Une sorte de pique-nique matinale. Puis on avait embarqué
dans une fourgonnette et on avait roulé, roulé, roulé. Comme je ne pouvais rien
voir dehors, je m’étais endormi. Après plusieurs arrêts pipis, on avait
débarqué à l’entrée d’une très grande maison très accueillante avec ses rangées
de fenêtres d’où filtraient des voix d’enfants heureux.
Je crois que c’était une école. De la rue, on entrait
dans un grand hall. A gauche, il y avait la salle à manger. A droite, il y
avait les bureaux, la réserve où on avait entreposé nos bagages, une salle de
repassage, l’infirmerie, etc…
Au dessus étaient les dortoirs sur deux étages.
Comme il y avait une pente, le hall qui était au niveau de la route,
surplombait une très grande cour aux grands marronniers. Au niveau ce cette
cour, sous le hall d’entrée donc, il y avait les cuisines, l’économat, les
douches, la chaufferie et la réserve à charbon.
Au milieu de la cour, il y avait une construction qui devait être les salles e classe, par ce qu’il
y avait une verrière tout autour, au premier étage, et en bas, une cour
couverte avec une rangée de wc.
La vie au foyer de Vouvray, c’était le nom de cette
endroit, avait commencé par une douche. On s’était dépouillé de tous nos vêtements
dans une petite pièce avant de pénétrer dans le brouillard de la douche. J’avais
honte et je n’étais pas le seul. On se cachaient le zizi avec les mains. Moi,
je m’étais précipité vers un coin et qui sera toujours le mien pour toutes les
douches à venir.